Dure infortune à Roquebrune
Et voilà, la saison vient de reprendre, nos weekends vont être rythmés par les horaires des matches, les émotions vont revenir, les enthousiasmes, les frustrations, les résultats, on va discuter, décortiquer, crier, manifester de la joie ou de la colère, mais on va vivre. Vivre, oui… Sur la base de ce rythme sportif, j’ai pour ma part quelques exercices à fournir et parmi ceux qui m’occupent le plus, il y a l’écriture de ces petites chroniques du Blog de Zette. Il s’agit d’une activité un peu égoïste puisqu’elle satisfait mes modestes velléités d’écriture, mais cela reste très chronophage. Alors que je m’attelais à la rédaction de l’article sur notre match contre Roquebrune-Cap-Martin, je fus saisi, frappé au cœur, par une annonce aux effets un peu castrateurs.
Une partie de mon adolescence était touchée par une discrète disparition, celle de Marianne Mako. Rien à voir avec les petits moules en latex rouge qui permettaient des moulages en plâtre que ceux qui ont moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, non, il s’agit de la chroniqueuse sportive de TéléFoot, disparue à 54 ans, et qui était une pionnière des mouvements comme #metoo qui fleurissent aujourd’hui. Difficile de se rappeler le machisme ambiant qu’elle a dû endurer de la part de ses collègues et il est difficile d’imaginer le chemin parcouru depuis sans se remémorer des actions de ce genre de personnes, au-delà des décisions politiques décisives qui ont accompagné les évolutions de la cause féminine.
Mais mon adolescence, dont on peut se foutre autant que Michel Houellebecq de sa première dent, reçut un autre vilain coup dur avec le départ du grand Charles. Quand vous essayez d’écrire des trucs et que vous tentez d’être intelligent, ou drôle, ou peu importe le chemin que vous empruntez, vous cherchez toujours à trouver les meilleures formules, les bonnes figures rhétoriques, savoir brosser un portrait, définir une ambiance, et quand vous lisez les textes d’Aznavour, vous vous rendez compte trop rapidement que le talent n’est pas à la portée de tous, et ça doit vous inciter à l’humilité. Il y a un côté bloquant à lire ou écouter ces chansons et mon retard de la semaine n’y est évidemment pas étranger.
On peut essayer de faire rire, bien entendu, et se dire que sa longévité est totalement extraordinaire. Partir à 94 ans, ça fait 3 Amy Winehouse et demi, ce n’est pas rien. Tout le monde connaît Aznavour, c’est un peu comme Agnès Buzyn sauf que tout le monde le connaît. A 9 ans, quand nos filles évoluaient en poussines, il donnait déjà des spectacles. Au même âge, je me triturait l’élastique en mangeant des Palmitos, heureusement qu’à un moment j’ai dévié d’orientation, et puis on ne trouve plus de Palmitos.
Et pourtant, il me faut trouver un lien cohérent pour relier Charles Aznavour à nos matches de basket. Et en fait, ce lien existe, clair et limpide, puisque le regretté interprète était fan de ce sport. Il a d’ailleurs récemment enregistré un message à Lebron James en personne. Il avait appris que la star néo-californienne avait découvert son œuvre lors d’un déplacement en avion et avait depuis acheté l’intégrale des chansons de notre petit arménien. Comme quoi, vous pouvez vous rendre compte de la façon dont la culture virevolte aisément chez les gens de goût. Universel était-il donc.
Alors ce samedi 29 septembre, nous devions entamer notre première phase de championnat contre RCM Basket. Cette belle équipe avait terminé la saison dernière 3° du Championnat PACA et sortait d’une première victoire acquise aux dépends de l’AS Monaco. Les objectifs de nos hôtes sont clairs, simples, battre l’Eveil, et tous ses autres adversaires, pour tenter de ramener le titre 2019. Si rien n’est jamais acquis, on peut imaginer qu’avec un tel effectif, expérimenté s’il en est, l’objectif semble réalisable, et c’est tout le mal qu’on leur souhaite.
Nos filles quant à elles allaient découvrir la catégorie supérieure. En effet, hier encore, elles avaient 15 ans, elles caressaient le temps et jouaient au basket, sans aucune prise de tête.
Mais nos filles avaient des arguments à faire valoir et non, je l’espère, elles n’avaient rien oublié de leurs forces.
Pour tenter l’impossible exploit, Geoffrey envoyait sur le terrain Zoé, Chiara, Maïssa, Hana et Amélie.
Nous allions devoir nous passer de Romane, en phase de récupération physique, et gérer le cas délicat de Thiziri dont la cheville était encore douloureuse.
L’entre-deux d’Hana face à Carla se déroulait en haute altitude. Mais c’est Roquebrune qui inscrivait les deux premiers points du match avant un problème de tableau d’affichage qui coupait les filles dans leur élan. Toutes ces nouveautés technologiques et électroniques nous feraient presque regretter certains plaisirs démodés, avec peut-être un brin de nostalgie…
Après plusieurs tentatives infructueuses et de situations mal négociées, RCM Basket en profitait pour s’envoler au score, à 5-0, puis à 10-3.
Dans ce premier quart-temps, ce fut à sens unique. Zoé ne marquait qu’un seul panier, et 2 lancers-francs, Hana ne marquait qu’un seul lancer, et nous achevions cette période sur le score de 16 à 5 en faveur de nos hôtes. Ces 11 points de retard constituaient déjà un inquiétant déficit, mais une statistique ressortait au-delà de toute autre, nous avions shooté à 1 sur 22… Impossible de suivre le rythme avec une telle maladresse.
Que c’est triste de voir nos comédiens revenir sur le terrain pour entamer le deuxième acte de ce match compliqué. Surtout que nous commencions par louper nos 3 premiers tirs et notre attentisme nous coûtait cher. Les Roquebrunoises menaient 19-7.
Le match devenait déraisonnable, et les errances de nos néo-cadettes se voyaient sanctionnées par l’écart grandissant du score. Malgré tout, le travail physique effectué durant toute la préparation portait ses fruits car nos joueuses ne baissaient pas l’intensité de leur jeu, elles restaient vaillantes, combattives, malgré la réussite qui continuait de les fuir. Zoé se retrouvait sous la pression de 3 joueuses, mais elle continuait d’avancer avec bravoure.
Sur une interception de Chiara, la jeune Marina se lançait et, battue, poussa un cri qui n’était pas sans rappeler Adèle en live. Cette faute est normalement sanctionnée d’une technique mais l’arbitre décida de seulement l’avertir et de la sensibiliser sur l’interdiction de cet acte.
La période touchait à sa fin et elle avait été similaire à la première. Nous la perdions 16 à 10 et le score à la mi-temps était de 32 à 15 en faveur de Roquebrune. Quand on sait que nous en étions à un incroyable 5 sur 42 aux shoots, il y avait de quoi rager. Pas vraiment besoin d’adversaires pour nous battre aujourd’hui, nous le faisions très bien. Si nous avions shooté à un très médiocre 20%, à 9/42, nous aurions été devant à la pause.
Notre empressement à dégainer était contre-productif et me rappelait une maxime du grand Confucius qui disait, approximativement, « Une impatience capricieuse ruine les plus grands projets ». Celui de bien figurer dans cette partie était bien compromis mais Geoffrey, sur le constat, après avoir dit à son équipe « Tu t’laisses aller », allait demander à ses joueuses de faire les efforts de solidarité nécessaire pour montrer une meilleure figure.
Ce sursaut d’orgueil au troisième quart-temps allait nous offrir une remontée aussi excitante que le quotidien d’Afida Turner. For me, c’est formidable ! Avec une défense très agressive, nos U18 passaient à nos adversaires débordées un 7-0 qui les laissait un peu groggy.
Quand Zoé transformait son tir à 3pt, l’Eveil ne pointait plus qu’à 7 longueurs de RCM Basket.
Coach Jeff prenait un temps-mort et 2 chansons différentes étaient alors entonnées. Du côté de Geoffrey, on s’voyait déjà remonter le match, pour prendre moins de 10 points l’Eveil espérait. On s’voyait déjà, revenir dans l’match, réduire cet écart et nos adversaires effrayer.
Du côté Roquebrunois, ça gesticule et parle fort, ça joue les divas, les ténors, mais les lazzis, les quolibets, nous laissaient froids puisque c’est vrai, ce sont que des premières années comme ils disent.
Retour sur les planches, après quelques échanges intenses, Hayam servait Zoé pour revenir à 5 points. Cette débauche d’énergie allait se payer un peu, ce qui est normal après tout. Pauline crucifiait notre jeune équipe d’un tir à 3pt pour nous repousser à 8 points, et, dans la tourmente du moment, Zoé se retrouvait en défense sur Carla et ses 2m35 ! Tâche dont elle s’acquitta avec brio puisqu’elle contenait très bien le pivot adverse et lui prenait même un rebond défensif bien chaud. Avec un bien plus rassurant 7 sur 21 aux shoots, l’Eveil gagnait ce troisième quart-temps 16 à 9 et le score était de 41-31, nous laissant avec un raisonnable déficit de 10 points.
Courir après le score est un exercice aussi compliqué qu’épuisant. Et on peut faire ce constat quand 2 équipes égales sont sur le terrain. Quand en plus l’expérience, la taille, la vitesse, et la technique de nos adversaires s’en mêlaient, si on considère en plus qu’elles avaient pratiquement toutes 2 ans de plus que nos joueuses, ces éléments allaient devenir insurmontables. Mais il ne fallait pas baisser les bras et continuer de produire un engagement cohérent.
Ainsi sur ce dernier quart-temps, Maïssa faisait parler sa faculté à placer des contres, mais les roquebrunoises répondaient autrement et scoraient.
Nous allions retomber dans nos travers, ou plutôt dans la maladresse chronique de nos tirs sur ce match, qu’ils soient lointains ou plus simples, dessous, à 45°… Aaaah cette frustration de vrais PILF, Paniers I’d Like to Fuck… Mais c’est ainsi, des refus de shoots, de la fatigue, des shoots forcés, de la fatigue, des pertes de balle, et encore de la fatigue, tout ce petit monde était entamé. Mais les filles de Roquebrune commençaient à piocher un peu elles aussi. Ils sont venus, ils sont tous là, dès qu’ils ont entendu ce cri, elle est fatiguée laaa Carlaaaaaa. Oui, les joues étaient rouges des 2 côtés et le match avait montré les amis, les emmerdes, et un investissement de tous les instants. Le match se terminait sur un dernier tir de Zoé qui prenait un coup sur l’œil qui lui laissera une trace de son premier petit coquard, le métier qui rentre ! Nous perdions cette dernière période 11 à 5 et le match 52 à 36, 16 points d’un écart étrangement creusé par la faute d’une adresse effrayante ! 2 sur 19 sur ce dernier quart-temps, mais surtout un 14 sur 82 qui sont des chiffres aussi irrationnels que le visage des frères Bogdanoff !
Emmenez-moi, au bout du parquet, emmenez-moi au pays du basket, il me semble que la défaite, serait moins pénible avec plus d’adresse.
Difficile d’être insatisfait de cette prestation car les éléments que nous souhaitions voir de nos joueuses ont été mis. Et bien entendu, il reste beaucoup de travail et, on le sait, la victoire n’est pas une fin en soi si les filles progressent, travaillent. On se dit seulement qu’avec un peu plus d’adresse, les choses eurent été différentes. Imaginez un instant un simple et maladroit 23/82 et le match était gagné contre une très grosse équipe de notre championnat. Ainsi, à considérer que nous avons été super nulles aux shoots, il aurait suffi d’être juste nulles pour partir avec une victoire.
Bon, je sais, avec des « si » on met Paris en bouteille, et « si » ma tante en avait, on dirait d’elle que c’est un homme, oh, comme ils disent. En tout cas, tout ça reste très encourageant, même si on sait que l’on va rencontrer des équipes plus âgées, plus préparées aux joutes de la catégorie, mais c’est le lot de chaque jeune quand il change de niveau. Sans parler d’un temps de basket bohême que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, nous avons connu ces moments un peu intimidants qui sont parfois même paralysants. C’est un peu le sentiment général au bout du compte, nos filles ont joué avec un frein psychologique aux sources multiples. La pression du premier match de la saison, la catégorie U17 devenue U18, rencontrer des Golgoths endurcis aux joutes de ces futures joueuses seniors, se coltiner des espoirs potentiels de niveau national, voilà la tâche qui va attendre notre petite et jeune équipe tout au long de la saison.
Les filles sont restées solidaires, généreuses dans l’effort, et à l’écoute des conseils qui leur sont prodigués. Nul doute que les prochaines rencontres seront compliquées, mais elles retourneront à l’abordage avec toujours autant d’enthousiasme, et ça fait vraiment plaisir à voir.
Je vous laisse avec quelques souvenirs du jour, dont certains seront offerts avec plaisir à nos amies Roquebrunoises, et on se voit la semaine prochaine à Carros !
J’ai essayé d’emprunter quelques-unes des propriétés du grand disparu du jour, sans vouloir refaire ce que j’avais fait pour la disparition de Monsieur Smet. Difficile de se hisser à une hauteur acceptable, j’ai préféré discrètement placer certaines choses mais je tenais à laisser à nos jeunes le soin de méditer sur ces dernières paroles pleines de sens et de lucidité, comme toujours. Vivez chaque instant avec passion…
« Lorsque l’on tient entre ses mains cette richesse,
Avoir vingt ans, des lendemains pleins de promesses,
Quand l’amour sur nous se penche,
Pour nous offrir ses nuits blanches.
Lorsque l’on voit loin devant soi rire la vie,
Brodée d’espoir riche de joies et de folies
Il faut boire jusqu’à l’ivresse, sa jeunesse.
Car tous les instants
De nos vingt ans
Nous sont comptés,
Et jamais plus le temps perdu ne nous fait face.
Il passe souvent en vain
On tend les mains, et l’on regrette
Il est trop tard sur son chemin
Rien ne l’arrête
On ne peut garder sans cesse, sa jeunesse.
Avant que de sourire
Et nous quittons l’enfance,
Avant que de savoir
La jeunesse s’enfuit.
Cela semble si court que l’on est tout surpris,
Qu’avant que de comprendre on quitte l’existence. »
Charles Aznavour – 1924-2018